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Daniel PERON peintures semeur

L’Art et le sacré.

Je me suis laissé aller à penser, un peu de manière informelle, à ce qui peut bien relier l'Art à ce qu'on appelle le Sacré

Ce qui suit n'a rien de bien construit, c'est plus un jeu de correspondances qui me sont venues à l'esprit…

Correspondances? Cela me rappelle ce poème de Baudelaire justement, où les mots éclatent de vérités profondes et tellement évidentes pourtant … Allez, je ne peux résister à citer la première strophe qui nous rappellera le bon vieux temps du Lycée.

«Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.»

Ce sentiment du Sacré, au sens non religieux du terme, de quelque chose qui nous dépasse, de quelque chose de confus mais de présent qu'on ne s'explique pas mais qu'on ressent fortement, qui n'a jamais ressenti cela au plus profond d'une forêt, devant l'immensité d'un horizon marin ou sous l'infini d'une voûte céleste ?

L'homme n'a eu de cesse de construire, imaginer, restituer, sous mille formes, ce sentiment indicible… avec cet outil unique dont il dispose, l'imaginaire symbolique. Déjà dans la grotte préhistorique des origines, le simple fait de se libérer du quotidien pour le «en scène» le recréer, semble un acte fondateur d'une pensée qu'on a pu appeler magique mais en tous cas sensible à une autre approche que la simple réalité.

Ensuite, à l'image de la forêt primaire, mille piliers se sont élevés, mille temples se sont érigés de par le monde pour célébrer une divinité… L'Art, architecture, peinture, sculpture, musique, a conclu pendant des siècles, un pacte avec le Sacré dans son acception religieuse… pour le rompre brutalement dès la fin du 19ème siècle et définitivement un peu plus tard sous la forme d'un urinoir (de Duchamp) promu au rang d'une œuvre d'art !.… ou de «d'Avignon» de Picasso.

La rupture avec le sacré au sens religieux du terme était consommée, à moins de faire de l'urinoir un bénitier et des demoiselles de nonnes du Palais des papes… mais faudrait déstructurer le Palais, pas facile, ou le Pape, quasi impossible...

Mais l'œuvre d'art en avait-elle réellement fini avec le Sacré ? On peut en douter…

Une bizarre translation semble s'être produite dans nos pays occidentaux où le religieux expire lentement. La relation de l'Art à un Sacré en perdition semble avoir déplacé la notion de Sacré sur l'objet d'art en lui-même et les lieux où il s'expose… Les nouveaux temples sont les Musées et les galeries et les nouveaux prêtres, les intermédiaires entre la Terre et l'Indicible, les artistes...

Rappelons nous, croyants ou non, nos comportements dès l'instant où nous pénétrons dans une église, une cathédrale surtout… Les voix se font plus basses, le lieu en impose, les pas se font plus feutrés, on se risque à prendre une photo comme si l'on commettait un sacrilège, surtout avec un flash (le Fiat Lux est chasse gardée !)… Ce poids du sacré nous le ressentons aussi dans un monastère ou même au sein d'une ruine, seul, à la nuit tombée, près de quelques piliers, morts cette fois…

Déplaçons nous dans un Musée. Nous retrouvons souvent les mêmes attitudes. Certes, on ne communie pas devant l'autel et le christ en croix mais une ferveur admirative nous presse autour d'une Joconde quasi canonisée ou d'une Marylin de Warhol, véritable icône des temps modernes. les Musées contemporains, œuvres architecturales souvent audacieuses (comme le Guggenheim de Bilbao) sont les nouveaux temples d'oeuvres sacralisées où l'on vient communier par le biais d'un Tour operator.

Et si vous avez déjà poussé les portes d'une galerie de prestige, vous y avez certainement retrouvé le même cérémonial. Or quelqu'un a dit (je ne m'en souviens plus): «sacré, c'est ce qui ne peut se donner ni se vendre»…. La définition ne semblerait pas coller avec ce qui est en jeu dans le «des saints» de la galerie à moins que, dans cet espace, … le sacré n'aille se nicher, non pas seulement dans l'œuvre, mais dans ce qu'elle vaut, le Dieu Dollar… d'autant plus sacré que le nombre de zéros augmente.

Ainsi le sacré semble s'être déplacé vers l'œuvre elle-même en tant qu'objet d'autant plus si elle s'inscrit dans un espace qui la sépare du monde profane. L'objet banal issu du quotidien accède à un statut supérieur et différent de par sa disposition à l'intérieur de l'espace sacré du musée.

Replaçons notre urinoir parmi ses alter ego chez Leroy Merlin par exemple, et la décadence est certaine… Le sacré en prend un sacré coup !… Il est vrai que l'estampillage Leroy Merlin est plus prosaïque que celui du Centre Beaubourg… Mais c'est moins cher. En 1999, un des urinoirs de Duchamp fut vendu aux enchères pour la bagatelle de plus d'1,5 million d'euros !… En cela le Jacob Delafon est nettement plus démocratique.

Inversement, il me semble qu'on a déjà essayé d'uriner, par provocation ou dans un grand jet purement dadaïste, dans un des urinoirs de Duchamp (aussi appelé Fountain) . On cria aussitôt au scandale, à l'iconoclasme, au sacrilège, à la profanation, et j'en passe… Un destin bien paradoxal pour une œuvre qui se voulait au départ aller à contre-courant, à l'encontre de l'art officiel, du savoir-faire, qui intronisait la pratique du ready-made, remettant ainsi en cause les fondements de l'art et sa sacralisation. Faites la même chose chez Leroy Merlin (je n'ai pas d'actions chez eux, craché, juré !), vous vous en tirerez avec une amende pour attentat…. à la pudeur. C'est Duchamp qui de son piédestal céleste doit bien rigoler, à moins que tout cela finalement n'eut rien de spontané. Un coup de bluff qui a bien fonctionné ? Aurions-nous été dupes dès le départ ?

 

On ne peut s'arrêter là, ce serait un peu simpliste. Il est évident que derrière cette histoire pro-statique d'urinoir, on sent un bouillonnement d'idées, il y a bien plus que ce qu'il en paraît. Un 2ème épisode tentera d'explorer pourquoi, malgré la fin apparente du lien Art/Sacré, l'Art contemporain, malgré ses excès et ses dérives, n'a pas brisé le lien, loin s'en faut… Et qu'un Sacré compris dans son sens large, spirituel, débarrassé de toute connotation religieuse, est indissociable de l'Art. Il en sera toujours ainsi qu'on le veuille ou non...

C'est peut-être aussi cela que nous ressentons confusément dans notre relation à une œuvre, ce qui expliquerait nos comportements, le fait qu'elle parle de l'artiste, de celui qui la regarde ou l'écoute, et d'un «» indéfinissable qui établit la relation entre les deux et la relation à un Indicible, ce que Paul Diel appelait le «Mystère»…

 

 

Je tiens d'abord à préciser que je n'affirme rien, j'émets des idées, des points de vue que je ne tiens pas forcément pour vérités acquises... Et ceci est vrai pour l'ensemble du blog.

J'en étais resté à l'idée que l'Art, quoi qu'il se passe, avait partie liée avec le Sacré… Entendons nous bien. Ce que j'appelle Sacré ici n'est pas tout ce qui nous relie à un Dieu quelconque ou à ses saints mais ce qui nous relie (il y a donc bien une notion religieuse au sens de relier/religare), d'une manière qu'on ne peut encore expliquer... à l'Indicible, le Mystère, ce qui nous dépasse en quelque sorte… Ce peut être aussi ce qui nous relie, à travers l'Art, d'une manière inexplicable, à autrui, ce lien sensible, quasi magique, fulgurant mais rare entre l'artiste et l'observateur. Quand ce lien se fait moins rare, qu'on touche presque à l'universel, on entre dans la cour des grands, le chef d'œuvre qui a su peut-être effleurer le Transcendant et le restituer pour en faire une réalité qui «» inconsciemment à tous.

Mais de l'universel, passons au grenier de grand-papa !

Arrivés à un certain âge, nous devons tous un jour faire le tri dans les affaires de nos chers disparus… Lesêtements défraîchis, une commode bancale, un lave-linge un peu lessivé iront tout droit à la déchetterie. Mais si nousdécouvrons une vieille «ûte» patinée représentant un bord de mer ou un bout de rivière sous une frondaison (eh oui, le grand-père faisait dans la peinture), nous hésiterons… Car ici, œuvre d'art ou simple divertissement d'un peintre du dimanche comme on dit, il y a plus qu'un simple objet… Il y a création, il y a une part d'âme…. Il y a ce supplément d'âme enfermé dans l'objet est qui renvoie à autre chose… On touche peut –être ici un aspect essentiel: le statut de l'œuvre d'art est de sortir de l'ordinaire. Elle n'appartient pas à l'ordre des objets techniques communs, elle est extra-ordinaire au sens strict.

Même si nous avons pu noter, qu'à notre époque, c'était de plus en plus l'objet d'art en soi qui devenait sacré, et ceci renforcé par sa mise en place dans un espace sacralisé... Grand-papa et sa modeste toile nous rappelle bien sûr qu' il y a bien plus que cela…

Notre maintenant bien aimé urinoir est beaucoup plus sacralisé par ce qu'il représente que par ce qu'il est, un urinoir. Il représente un acte fondateur et nous savons l'importance que prend tout acte fondateur dans une civilisation. Il rentre ainsi dans l'Histoire de l'Art qui consacre au sens propre du terme. Et c'est en cela qu'il a à voir avec le Sacré (même si on a ensuite tout fait pour renforcer cet aspect, les marchands du temple ne sont jamais loin...). Jésus revient ! Jésus revient !....

Même s'il se veut anti-art au départ, il a encore à voir avec l'Art et devient les prémices d'un vaste mouvement qui ne cessera de questionner l'homme et sa place dans le monde à travers le rôle de l'objet, son icônisation (j'ai inventé le mot, pardonnez moi), son rejet, sa déstructuration, sa reconstruction, etc… Et si l'Art sert d'intermédiaire à une réflexion sur la place de l'homme et de l'objet dans le monde, à son lien avec le monde et ce qu'on pourrait appeler l'intra-monde (inconscient) et l'extra-monde (origines et fins, sens, transcendance…), il a bien à voir avec le spirituel...

C'est Marcel Gauchet, philosophe qui écrivait:

«spirituel, c'est le religieux quand on n'a plus de nom pour le qualifier ! Une fois que Dieu est parti, qu'on n'est plus capable de donner un contenu déterminé à l'au-delà, au surnaturel, à l'invisible, comment l'appeler ? Beaucoup fuient en entendant le mot « spirituel », mais cela ne veut pas dire que le souci du spirituel ne les habite pas. Le refus de lui donner un contenu explicite n'empêche pas la recherche de cette dimension qui, pour nous aujourd'hui, passe par l'imaginaire.Dans le monde européen désacralisé d'aujourd'hui, il n'y a que l'art qui puisse fournir un analogue ou un équivalent du sacré.»

Jadis dieu fit sortir le monde du néant, fit jaillir la forme du chaos... mais il n'est plus... Les Dieux meurent dès qu'on cesse de croire en eux.

L'artiste poursuit cette tache, comme il le peut: donner forme au chaos ou déstructurer la forme. Il fabrique du réel à partir de concepts mais, à la différence des objets purement techniques, cette réalité est porteuse d'un idéal, d'un imaginaire unique, d'un questionnement perpétuel avec soi-même et avec tout ce qui nous interpelle. Mais la tache est rude. Notre époque consumériste tend à tout récupérer, par l'argent le plus souvent, par le vedettariat (l'artiste reconnu devient un people comme tant d'autres au risque d'y perdre son âme et sa sacralité), par le désenchantement, la désacralisation.. Même si certains résistent. Mêmesi'autres baissent les bras devant l'ampleur des chefs d'oeuvre écrasants du passé.

Lorsque je contemple par exemple le retable d'Issenheim de Grünewald (je l'ai vu à Colmar, on n'en ressort pas indemne), la descente de croix de Rubens, la Pietà de Bellini ou de Miche Ange, je dois bien reconnaître, qu'au-delà du religieux, certaines scènes sont comme traversées par la grâce. Cela est indépendant de la religion ou de la foi (je ne suis pas croyant) mais je suis profondément sensible à une force qui se dégage de l'oeuvre .

Devant un tableau de Bacon, je ressens la même chose… Pas de croix, d'allusions à la bible mais la même force universelle, la même déchirure des âmes et des corps... L'art porte en lui-même son caractère sacré mais toute œuvre d'art n'y parvient pas forcément… de la même façon que d'innombrables toiles peuplant nos églises n'ont rien de cette force sacrée, résultat d'un travail de commande, le sujet fut-il religieux....

On entre ici dans le domaine d'une étrange alchimie faite d'idées, de gestes, de technique, de fulgurances inconscientes, l'alchimie de la création où l'on a rendez-vous avec soi-même, l'inconnu qui nous entoure, et les autres qui viendront ensuite. Car si l'Art a plus ou moins à voir avec le Sacré selon le talent du créateur, il ne peut être que partagé, collectif… ce qui est le propre du Sacré.

C'est bien pour cela que ses rapport avec le politique furent toujours tellement chaotiques. Par essence, l'artiste est subversif. On tenta toujours de le corrompre, de le flatter ou de le censurer, de l'emprisonner. Il suffit de se rappeler les œuvres impérissables engendrées par les systèmes totalitaires. L'Art désacralisé, qui n'est plus un Art mais un Acte de propagande, n'en servit pas moins à sacraliser les idéologies d'un Führer, d'un Petit Père des Peuples ou d'un Grand Timonier... Alain dans son blog en parle très bien d'ailleurs.. S'il ne touchait pas à quelque chose de profond, d'essentiel, les pouvoirs en place en feraient-ils tellement cas ?

Pour terminer, méfionsdes positions trop radicales. Le «est sacré», la moindre pierre, la moindre feuille. Ou le «est art» à partir du moment où l'on crée. Ou le «art est sacré». peut-être mais encore faut-il cerner ce qui est Art et ne l'est pas. J'en resterai là pour l'instant. Je me suis aussi limité à l'Occident et plutôt à la peinture. Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la musique ou sur des civilisations où l'Art et le Religieux ne font encore qu'un. Mais ce sont là d'autres débats.

 

Retenons simplement que si l'on crée et que, ponctuellement, une rencontre, forte et profonde, se fait entre 2 individus à travers l'objet créé, si des portes ont pu s'entrouvrir pour l'un comme pour l'autre, si à travers cette rencontre, l'un comme l'autre, on a cru sentir passer comme un souffle impalpable mais tangible d'une infime part de ce Mystère après lequel nous courons tous, alors on peut être quelque peu satisfait. pour un temps. Car tout est à recommencer, toujours et toujours...

 

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